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> le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu

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« Nous avions utilisé toutes les armes non violentes de notre arsenal — discours, délégations, menaces arrêts de travail, grèves à domicile, emprisonnement volontaire, tout ça en vain, car quoi que nous fassions, une main de fer s’abattait sur nous. Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autres recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur. À un certain moment on ne peur combattre le feu que par le feu. » ( Nelson Mandela )

 

Le grand retour du sabotage

 

 

          Le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu. À mesure que la catastrophe climatique se précise et devient de plus en plus palpable, le sabotage revient sur le devant de la scène. Sa pratique gagne en légitimité et se généralise au sein du mouvement écologiste.

          Il suffit de voir son essor ces derniers mois, au cœur d’un été suffocant : des dizaines de greens de golf ont été bouchés au béton, des jacuzzis détruits et des SUV dégonflés dans plusieurs villes du pays. Dans le sud de la Vendée, plusieurs mégabassines — des réserves d’eau immenses — ont été débâchées. Face à l’urgence climatique, des activistes ont décidé de cibler directement les responsables du désastre et les comportements polluants des plus riches.

          « On tend de plus en plus vers une écologie de la conflictualité », atteste le sociologue Manuel Cervera-Marzal, auteur de Résister (éd. 10-18). « On sort enfin de l’idée que l’écologie serait ce qui nous rassemble et que l’on serait tous sur le même bateau. L’écologie est, en réalité, ce qui nous divise. Des gens ont intérêt à lutter contre le réchauffement climatique, d’autres se font de l’argent sur la crise », souligne le chercheur, qui voit dans le développement actuel du sabotage « une forme renouvelée de désobéissance civile ». Une nouvelle manière de dire non et d’assumer la fracture dans une époque gangrenée par le greenwashing où tout le monde se prétend écolo.

          Avec le sabotage, il ne s’agit plus seulement de se faire entendre ou d’espérer vainement être écouté par le pouvoir, les activistes veulent très concrètement entraver, gêner et ralentir la machine qui nous menace, « combattre le feu par le feu ». « Si quelqu’un a placé une bombe à retardement dans votre maison, vous êtes en droit de la débrancher et de la détruire », affirme ainsi le chercheur Andreas Malm dans Comment saboter un pipeline, un livre qui a connu un certain succès dans le milieu militant.

« Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions avant »

          Aujourd’hui, aucun secteur économique n’est épargné. Des distributeurs de billets de banque sont mis hors service. Des milliers de trottinettes électriques sont sabordées. Chaque mois, des antennes relais 5G continuent de brûler. Des compteurs Linky sont démontés. Pour lutter contre l’exploitation forestière, des abatteuses sont incendiées.

          En région parisienne, des usines de ciment Lafarge sont attaquées. À Bure (Meuse), des sous-traitants du nucléaire sont pris pour cible, la voie ferrée qui devait acheminer les déchets radioactifs a été endommagée. Dans le Bugey (Ain), des antispécistes ont mis le feu à un abattoir. Partout, des miradors de chasse ont été dégradés. Pour dénoncer l’élevage hors-sol, d’autres activistes ont même vidé un wagon de céréales en mars dernier tandis que des vendanges sauvages ont pillé le vignoble de Bernard Arnault cet été.

          Les actions se multiplient aussi sur le front des luttes locales, où le sabotage est pleinement revendiqué pour freiner les grands projets dits inutiles. Encore récemment, à l’ancienne ZAP du Pertuis, des machines de l’entreprise Pellenc ont été dégradées. Dans le Marais poitevin, des mégabassines sont régulièrement sabotées.

          « Il y a clairement une popularisation de ce mode d’action », estime un membre de l’équipe des Soulèvements de la Terre. Le militant antinucléaire et antiLinky Stéphane Lhomme y voit « une résistance diffuse » : « Nous sommes dans une période très mouvante de l’histoire. Des portes s’ouvrent, avec de nouveaux imaginaires et de nouvelles pratiques. »

          Cette dynamique s’inscrit dans un contexte général, qui touche tout le monde occidental. En Allemagne, un groupe écolo a lancé les Fridays for Sabotage. Aux États-Unis, des oléoducs sont régulièrement visés. En Angleterre, des « Tyre Extinguishers » — littéralement dégonfleur de pneus — sévissent dans les villes. Des livres et des brochures circulent, et des tutos sur internet rendent ces gestes facilement reproductibles. Les militants n’hésitent plus à se filmer, à se mettre en scène, à communiquer massivement. On se montre en train d’agir, en train de bloquer physiquement la machine.

« Une radicalisation express »

          Le sabotage a toujours existé dans les luttes écolos, mais il semble aujourd’hui acquérir une plus grande acceptabilité. L’enquête sociologique sur la « génération climat » menée par le CNRS en 2021 met en exergue la tolérance de la nouvelle génération à « la violence physique sur des objets », en particulier chez celles et ceux engagés dans Alternatiba, ANV-COP21 ou Extinction Rebellion.

          De manière plus générale, un tiers des personnes interrogées disent comprendre le recours à des actes violents pour s’opposer à des décisions politiques. Ce sentiment est partagé par 15 % des plus de 65 ans et par 47 % des 18-24 ans, selon une étude de Harris Interactive. Ces chiffres sont complètement inédits sous la Ve République.

« Les règles du jeu ont volé en éclats »

          Après la révolte des Gilets jaunes et sa répression, un constat s’impose : « Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions il y a vingt ans, ni même il y a cinq ans. Les règles du jeu ont volé en éclats, observe ainsi le chercheur Manuel Cervera-Marzal. La manifestation a perdu son côté subversif et l’interpellation des pouvoirs publics peut paraître inefficace, inutile, voire dépassée. »

          Le sociologue parle de « théorème du TGV » pour illustrer « les parcours de radicalisation express des militants écologistes ». Cette transformation s’explique, selon lui, de plusieurs manières : l’aggravation objective de la situation, le sentiment d’urgence et d’impuissance qui ronge les activistes et le tournant autoritaire du pouvoir.

Le rôle pivot de la zad

          « Il y a aussi une humeur anarchiste propre à notre époque, analyse un membre d’Extinction Rebellion ayant participé à des actions de dégonflage de pneus. Nous trouvons plus de sens à nous organiser par le bas, par nous-même, via des petits groupes affinitaires en agissant concrètement contre les pollueurs, plutôt qu’à être aux ordres de certaines ONG aux happenings trop souvent inoffensifs. »

         La porosité entre le mouvement écologiste et le milieu libertaire, très présent sur les zad, a sûrement joué un rôle. Les liens se sont raffermis ces dernières années. La bataille de Notre-Dame-des-Landes et la séquence qu’elle a ouverte avec la multiplication des luttes territoriales ont nourri les réflexions stratégiques et les occasions de rencontre.

          « Sur la zad, nous avons toujours assumé la complémentarité des pratiques, de la pétition aux sabotages, des recours juridiques à l’affrontement avec les forces de l’ordre, rappelle Sylvain, un habitant du bocage. Tout au long de la lutte, Vinci a subi des dégâts matériels conséquents et les travaux préliminaires de l’aéroport ont été en permanence attaqués. C’est cette culture de la résistance, associée à un mouvement de masse, qui a permis d’arracher la victoire. »

          Cet imaginaire s’est peu à peu répandu. « Les mouvements sociaux sont désormais plus intelligents, moins identitaires, veut croire un compagnon de route du mouvement climat, qui souhaite rester anonyme. On essaye de mieux se comprendre entre différentes composantes, il y a plus de soin, moins de jugement. L’heure est au pragmatisme, pas au fétichisme. Tout le monde s’interroge sur ses modes d’action et la manière d’être véritablement efficaces. »

          La circulation entre les mondes se fait plus facilement, les militants échangent abondamment. Des membres des Soulèvements de la Terre ont par exemple été invités à participer aux journées d’été de Greenpeace et de la CGT en août dernier.

« Retourner l’arme de l’ennemi contre lui-même »

          Au creux de ces réflexions, d’anciens récits ressurgissent, ils réactivent une mémoire militante parfois trop sélective. On redécouvre peu à peu les gestes offensifs qu’ont pu avoir nos aînés, avec les campagnes de sabotage contre le nucléaire, les OGM ou l’élevage industriel.

          Déjà dans les années 1970, des penseurs de l’écologie parlaient du sabotage comme d’une forme « d’autodéfense » face au ravage du monde. « La morale l’emporte sur la légalité, écrivait Günther Anders [2]. Il est nécessaire d’intimider ceux qui exercent le pouvoir et nous menacent, de les menacer en retour et de neutraliser ces politiques qui sans conscience morale s’accommodent de la catastrophe quand ils ne la préparent pas directement. »

          La penseuse écoféministe Françoise d’Eaubonne a même forgé le concept de « contre violence » pour qualifier les sabotages écologiques. « Une action très indiquée dans le retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même », déclarait-elle [3].

          Les militants actuels parlent désormais de « désarmement », une subtilité sémantique qui bouscule les imaginaires politiques. « Ce terme permet ainsi de clarifier notre attention et de réanimer le débat de manière fertile, estime un militant des Soulèvements de la Terre. Des armes de guerre sont actuellement braquées sur le vivant. Il faut les neutraliser et désarmer les saccageurs pour aller vers un monde plus en paix. » -

50 nuances de sabotage écolo

          « La manif action » : le sabotage prend alors une dimension collective. Au cours d’une manifestation, des dizaines voire des milliers de personnes s’attaquent à des infrastructures écocidaires, les mettent hors d’état de nuire et revendiquent publiquement le geste. Dernier exemple en date : les mobilisations autour des mégabassines ou la lutte antinucléaire à Bure. En 2016, des centaines de personnes avaient démoli le mur construit illégalement autour du bois Lejuc.

          « L’action clandestine » : pratiqué le plus souvent de nuit et à visage couvert, ce type de sabotage cherche moins à être médiatique qu’efficace, et à provoquer le maximum de dégâts. Ces actions clandestines sont le fruit de groupes affinitaires ou de personnes seules. Les risques juridiques sont importants et les enquêtes policières nombreuses. On les retrouve particulièrement dans les « technoluttes », avec notamment la destruction d’antennes relais 5G.

          « Le microsabotage » : forme d’écogeste du sabotage, certains évoquent même un « colibrisme du sabotage ». Popularisé fin 2020 par le groupe La Ronce, ce sabotage se pratique souvent de manière individuelle ou par petits groupes. Les risques légaux sont très limités. À l’époque, La Ronce appelait à déboucher des paquets de sucre dans les magasins pour cibler le lobby de la betterave responsable, selon eux, de la réintroduction des néonicotinoïdes. Ils proposaient aussi de neutraliser les terminaux de paiement des stations Total ou de peindre le QR code de trottinettes électriques.

          « Le détournement » ou « le sabotage subtil » sans casse ni dégradation. Pour reprendre l’expression du chercheur québécois Samuel Lamoureux, ce type d’action consiste à se jouer des dispositifs technologiques, à les détourner voire à se les réapproprier. C’est un art du travestissement et du canular qu’apprécient particulièrement les humoristes ou les hackers.

Dans les années 2000, les Yes Men se sont notamment fait connaître pour s’être fait passer à la télé pour le porte-parole de Dow Chemical — l’entreprise responsable de la catastrophe de Bhopal. Ils ont annoncé en direct devant 300 millions de téléspectateurs vouloir vendre l’entreprise pour fournir des soins médicaux aux victimes de la catastrophe. En vingt-trois minutes, la valeur en bourse de Dow a chuté de 2 milliards de dollars. Plus récemment, en novembre 2016, des opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes publiaient un faux communiqué de Vinci qui annonçait le licenciement de son directeur financier après avoir découvert d’importantes erreurs comptables. En sept minutes, le cours en bourse de l’entreprise a chuté de 18 %.

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Incendies, déboulonnages… le sabotage au cœur des luttes écologistes

 

 

          Nucléaire, OGM, défense des animaux... Nombreux sont les activistes écologistes à avoir utilisé le sabotage pour s’opposer physiquement aux industriels et à leurs machines. Retour sur les écosabotages les plus marquants.

          Le sabotage a toujours accompagné les luttes écologistes. Depuis le bouillonnement des années post-1968 et l’avènement d’un mouvement populaire de défense de l’environnement, nombreuses sont celles et ceux qui ont fait le choix de ce mode d’action pour contrer des projets écocides. Incendies, déboulonnages, attaques à l’explosif, engins de chantier endommagés… Le sabotage est devenu peu à peu le cri de résistance de ceux qui ont décidé de s’opposer physiquement aux industriels et à leurs machines.

          De 1970 à 2010, plus de 27 000 actions clandestines ont été revendiquées dans le monde par les mouvances animalistes et écologistes, selon l’inventaire minutieux du chercheur Michael Loadenthal. Si elles ont créé des dégâts matériels majeurs, 99,7 % n’ont fait aucun blessé. Reporterre revient sur les écosabotages (ou « écotages ») les plus marquants de ces cinquante dernières années.

Des bombes dans les réacteurs

          Un des principaux secteurs industriels à avoir subi la foudre des écologistes est sans aucun doute le nucléaire. Son déploiement autoritaire, au tournant des années 1970, avec le plan Messmer en France, mais aussi dans les autres pays européens, a provoqué une levée de boucliers de la part de la population. Aux manifestations de masse, vivement réprimées, se sont vite greffés des modes d’action plus radicaux. À l’époque, le mouvement antinucléaire était à la fois puissant et diffus, non centralisé et hétérogène. Il s’organisait en comités locaux, rejoints rapidement par des militants libertaires et révolutionnaires.

          La pince-monseigneur, la clé à molette et la bouteille incendiaire sont devenues des outils incontournables dans la lutte. Des dizaines de centres techniques et d’agences EDF ont été attaqués au cocktail Molotov, des lignes à haute tension ont été détruites, des entreprises de BTP et des engins de chantier ont brûlé. Dans les années 1970, des vagues d’attentats contre des infrastructures nucléaires, baptisées « les nuits bleues », ont été organisées dans tout le pays.

          Pendant la bataille de Plogoff (Finistère) ou de Golfech (Tarn-et-Garonne), des bombes ont été placées sous les mairies annexes pour empêcher les enquêtes publiques. En 1975, la première centrale de Brennilis (Finistère) fut la cible de deux attaques à l’explosif. La même année, Françoise d’Eaubonne, une des pionnières de l’écoféminisme, posa une bombe dans le futur réacteur de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Elle provoqua d’importants dégâts et retarda la mise en chantier de dix mois.

          D’autres faits d’armes sont restés dans les mémoires. Au Pays basque, la lutte contre le projet de centrale de Lemoiz (Espagne) a rassemblé des centaines de milliers de personnes, dont les indépendantistes de l’ETA (pour « Pays basque et liberté »). À plusieurs reprises, des engins explosifs ont endommagé le chantier. Après dix ans de lutte et l’abandon du projet en 1984, l’entreprise chargée de la centrale affirmait avoir subi 250 attentats et 2 milliards de pesetas de pertes financières.

          Autre action emblématique : l’attaque au lance-roquette du surgénérateur Superphénix en 1982 par un écologiste suisse devenu ensuite député. « Le développement forcené actuel de l’énergie nucléaire est un choix irréversible que le capitalisme nous impose. De par son fonctionnement et sa nature, l’énergie nucléaire est la caricature d’un univers hiérarchisé, technocratisé et militarisé », justifiaient les militants de l’époque, avant d’appeler à « intensifier les sabotages ». Une réalité qui se poursuit aujourd’hui, même si la majorité des centrales ont été construites. Encore récemment, le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) a subi une série de sabotages et les trains Castors (« cask for storage and transport of radioactive material ») de transport de combustibles radioactifs sont régulièrement bloqués.

70 % des champs d’OGM détruits

          La lutte contre les OGM est un autre exemple saillant d’écosabotage. À partir des années 1990, et dans la veine du mouvement altermondialiste, de nombreux militants ont décidé de s’attaquer directement aux cultures d’essai d’OGM tout en se réclamant de la désobéissance civile. Ils dénonçaient l’emprise des industries semencières sur l’agriculture et « le brevetage du vivant ». Pour José Bové, alors secrétaire national du syndicat la Confédération paysanne, le fauchage d’OGM donnait de la visibilité à un message qui n’avait pas trouvé d’autres moyens d’expression publique.

          Plusieurs stratégies se côtoyaient alors. Certains sabotages se firent la nuit de manière clandestine et anonyme, tandis que d’autres acteurs assumèrent l’illégalité à visage découvert. Ils tentèrent de construire un rapport de force médiatique et transformèrent leur procès en arène politique. Des centaines de militants se sont ainsi retrouvés devant la justice. Le mouvement s’est structuré en 2003 autour du collectif des faucheurs volontaires. 5 000 personnes s’en réclamaient deux ans après sa création et la dynamique a rapidement pris de l’ampleur jusqu’au moratoire de 2008.

          En juin 2005, les faucheurs annonçaient avoir détruit 70 % des essais commerciaux en France qui existaient en 2004. En juillet 2006, le ministère de l’Agriculture estimait que 40 % des champs expérimentaux avaient été détruits. En 2008, la société Monsanto reconnaissait, elle-même, la destruction de la totalité de ses essais d’OGM.

          Plusieurs actions resteront gravées dans l’histoire : la destruction des serres du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en 1999 qui conduira les leaders paysans José Bové et René Riesel en prison, ou encore l’arrachage de Valdivienne en 2004 où 500 faucheurs affrontèrent des centaines de gendarmes mobiles. Au même moment, des sabotages contre des symboles de la malbouffe et de la mondialisation eurent aussi un grand retentissement, comme le démontage du McDonald’s de Millau (Aveyron) en 1999 par 300 paysans, dont José Bové.

La dynamique Earth First !

          Moins connus mais tout autant décisifs, les groupes Reclaim the Streets et Earth First !, en Angleterre, méritent leur place dans le panthéon des luttes écologistes. Dans les années 1980-1990, alors que Margaret Thatcher gouvernait d’une main de fer la Grande-Bretagne, ces activistes ont fondé un véritable mouvement d’action directe pour défendre les écosystèmes et créer « des zones d’autonomie temporaire ». Ils réussirent à mettre en déroute 500 projets autoroutiers sur les 600 prévus en associant rave parties, émeutes, sabotages et camps autogérés avec barricades et cabanes dans les arbres. Des sortes de proto zad. L’excellent livre À bas l’empire, vive le printemps !, en raconte l’épopée et montre comment ces militants assumaient pleinement la complémentarité des pratiques.

          Une des actions les plus spectaculaires en donne le ton, la radicalité et la subversion. Elle s’est déroulée le 13 juillet 1996 à Londres. Près de 10 000 personnes prirent complètement de court les forces de police et envahirent l’autoroute M41 pendant neuf heures. Des voitures conduites par des militants servirent de barrage et furent détruites à coups de masse, tandis qu’une grande fête fut organisée en lieu et place du trafic. Un bac à sable fut installé pour les enfants. Des cracheurs de feu circulaient, de grandes banderoles étaient accrochées. Des camions vibraient au son de leur sono. L’ambiance était carnavalesque, mais il ne fallait pas se méprendre. Pendant que les gens dansaient, d’autres, couverts par les bruits, attaquèrent la route au marteau piqueur pour y replanter des arbres.

          Dans le monde anglo-saxon, dès les années 1970, le sabotage a finalement pris une place centrale dans les courants écologistes radicaux. Le livre d’Edward Abbey Le Gang de la clef à molette, qui raconte la croisade d’une bande de saboteurs pour défendre la « wilderness », a sans aucun doute suscité des vocations. Aux États-Unis, sous l’impulsion de Earth first !, des groupes décentralisés et clandestins réunis sous le nom de Earth Liberation Front (ELF) se créèrent. Plus de 300 actions furent menées pour s’attaquer aussi bien aux exploitations forestières, qu’aux barrages ou aux forages pétroliers.

          Earth Liberation Front plastiqua ainsi une station de ski, des scieries et des résidences de luxe. Un manuel d’action directe de 300 pages fut publié (et est toujours disponible) pour présenter de manière décomplexée des dizaines de méthodes afin de démolir toute sorte de machines. Au début des années 2000, le groupe fut classé par le FBI comme la menace terroriste interne la plus élevée avant d’être en partie démantelé, en 2005, à l’occasion de l’opération policière Backfire, où dix-huit activistes furent arrêtés et condamnés à de lourdes peines.

Les groupes animalistes

          Mais c’est sûrement à travers les luttes de défense des animaux et chez les antispécistes que le sabotage s’est le plus développé dans le monde anglo-saxon. C’est d’ailleurs là où il est apparu. Dès le début des années 1960, la Hunt Saboteurs Association fut créée en Angleterre pour perturber les parties de chasse. Les militants mettaient du parfum et des odeurs fortes pour tromper l’odorat des chiens. Ils utilisaient des trompettes pour désorienter les chasseurs, cassaient les pièges, dégonflaient les pneus des véhicules et détruisaient les miradors.

          Très tôt, le courant animaliste a repris ce mode d’action. Autre exemple, dans le monde de la mer : Paul Watson et son association Sea Shepherd n’ont pas hésité à éperonner les braconniers et saboter des navires de baleiniers à quai. Des actions qui leur ont valu le surnom de « pirates écolos », et le fait d’être inscrits sur la liste rouge d’Interpol à la suite d’un mandat d’arrêt lancé par le Costa Rica. La tête de Paul Watson a aussi été mise à prix par la mafia taïwanaise, dont il gênait le trafic d’ailerons de requins.

          Beaucoup plus controversé et plus extrémiste encore, l’Animal Liberation Front (ALF) s’est constitué à la fin des années 1970 dans l’Angleterre thatcherienne. Ses militants maniaient l’explosif contre l’industrie pharmaceutique qui pratiquait des tests sur les animaux, et envoyaient des colis piégés à Margaret Thatcher. De nombreux laboratoires ont été incendiés. En 1985, une autre action du courant animaliste marquera fortement les esprits. Des activistes de l’Animal Rights Militia, un groupuscule en scission avec l’ALF, annoncèrent, dans une sorte de canular, avoir empoisonné des barres de chocolat pour manifester contre les expérimentations animales pratiquées par l’entreprise qui les produisait. Elle dut enlever ses produits des rayons — ce qui lui coûta des millions d’euros — et arrêter ses vivisections de singes.

 

Le sabotage, une arme décoloniale ?

 

         Dans un passage célèbre des Damnés de la terre, Frantz Fanon parle de la violence qui « désintoxique ». Elle libère, dit-il, « l’indigène de ses attitudes contemplatives ou désespérées. Elle le rend intrépide, le réhabilite à ses propres yeux ». À l’ombre du mouvement écologiste occidental, il est intéressant de voir que plusieurs mouvements décoloniaux ont aussi fait du sabotage des infrastructures polluantes et écocidaires, une stratégie pour s’émanciper du joug des colons, stopper la dégradation de leur terre et le pillage des ressources. À la croisée, donc, des questions décoloniales et écologiques.

          Le chercheur Andreas Malm dans son livre Comment saboter un pipeline en reprend plusieurs exemples. À Bornéo, les Penans attaquent les engins de chantier des bûcherons et les plantations d’huile de palme. Aux États-Unis, les Sioux dégradent les oléoducs qui servent à transporter le gaz de schiste. En Suède, les Lapons font exploser des lignes électriques sur leur territoire de chasse. Au Nigeria, le mouvement pour l’émancipation du delta Niger fait sauter des pipelines jusqu’à faire chuter d’un tiers la production de pétrole du pays entre 2006 et 2008

          Les mouvements indigènes ont souvent pris pour cible prioritaire les projets extractivistes et agro-industriels qui symbolisaient autant la destruction des écosystèmes que des sociétés humaines. En Papouasie-Nouvelle Guinée, l’armée révolutionnaire de Bougainville réussira ainsi en 1989, après une série de sabotages, à fermer la plus grande mine de cuivre au monde, exploitée par la multinationale Rio Tinto, qui polluait massivement les villages alentour. En Argentine, face à Monsanto, des paysans indigènes utilisèrent des bombes à graines avec de l’amarante pour contaminer les champs de soja transgénique et protéger leur terre. Une belle alliance multispécifique !

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