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> polyamour, une utopie ?

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( extrait de Philosophie magazine, hs n° 61 - été 2024 )

 

          L’éloge du polyamour ne s’est pas cantonné au XXIe siècle : l’idée est défendue dès le XIXe sous la plume du philosophe anarchiste Charles Fourier. Et elle a fait son chemin jusqu’à nous, sans être toujours convaincante. ( par Octave Larmagnac-Matheron )

          Est-ce une bonne chose d’aimer une seule personne ? De s’enfermer dans une relation exclusive ad vitam æternam ? Le philosophe Charles Fourier, l’un des pères de l’anarchisme, en doute. Il est l’un des premiers à défendre « l’amour multiple » dans Le Nouveau Monde amoureux, rédigé autour de 1816. Appelant à « innover en jouissance amoureuse », Fourier dénonce la norme de la monogamie qui favorise la possessivité de l’autre, freine « le développement des passions » et contribue à l’« asservissement » de l’épouse. Les amours multiples sont au contraire facteur de liberté. Le mariage est évidemment en ligne de mire. Pendant des siècles, l’institution maritale a imposé de « vivre avec » une unique personne, sans qu’il soit question d’amour. Bien souvent, il fallait se contenter d’espérer qu’une flamme naisse au sein du couple. Les fers du mariage condamnaient celui qui y était engagé, et en particulier la femme asservie à son époux : non pas à aimer une seule personne, mais à ne pas connaître l’amour, au mieux à l’effleurer. Avec le romantisme vient l’idée du mariage d’amour. On se prend à penser que l’institution maritale peut désormais sublimer en amour l’étincelle originelle d’une passion dévorante. Son « éternité » et son exclusivité sont à l’image de celles que l’on prête volontiers à l’amour. Le mariage conserve ainsi sa primauté. Il n’est pas d’autre manière « acceptable » de partager sa vie avec quelqu’un. Avoir plusieurs compagnes ou compagnons « officiels » est impensable au début du XIXe siècle. Les « liens sacrés », absolus et omniprésents, rendent impossible de nouer, sinon dans le secret, des relations amoureuses parallèles, et illégale la sexualité hors du couple. Qu’il y ait, dans l’amour, une promesse de fidélité et une forme d’engagement: sans doute. Mais que fidélité et engagement doivent prendre la forme unique d’un corset institutionnel monogame (jusqu’à ce que mort s’ensuive avant la légalisation du divorce), voilà qui est de plus en plus contesté au tournant du XXe siècle, alors que les mœurs se libèrent et que la domination masculine devient l’objet de débats houleux. Le mariage est évidemment plus aliénant pour la femme, sous l’autorité de son époux. N’y a-t-il pas d’autres manières d’aimer et de réaliser cet amour ?

          Parmi les critiques du mariage, celle d’Engels rencontre un fort écho. Dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, il écrit en 1884 que « la monogamie est née de la concentration des richesses importantes dans une même main - la main d’un homme -, et du désir de léguer ces richesses aux enfants de cet homme, et d’aucun autre. Il fallait pour cela la monogamie de la femme, non celle de l’homme. » Ce n’est pourtant pas tant la monogamie que critique Engels mais le dispositif d’asservissement et de prédation réduisant la femme à un objet qu’impose l’institution du mariage. Pour Engels, « l’amour sexuel est exclusif par nature » et, à ses yeux, l’égalité des sexes ne conduira pas à davantage de polyandrie chez les femmes, mais au contraire à moins de polygynie chez l’homme. Le papillonnage est d’abord l’effet d’union malheureuse dont les membres ne peuvent se libérer - problème que devrait, semble-t-il, résoudre la légalisation du divorce.

          La marxiste russe Alexandra Kollontaï, qualifiée de « décadente » par Lénine, considère au contraire qu’il faut renouer avec une dispersion naturelle des inclinations amoureuses changeantes. Elle fait de l’amour libre une force révolutionnaire et prône, notamment dans son Autobiographie d’une femme sexuellement émancipée (publiée à titre posthume aux Éditions Gît-le-Cœur, 1973), un « amour-camaraderie » fondé sur l'« aptitude à écouter et à comprendre les mouvements de l’âme de l’être cher », fait d’« égalité réciproque » (« pas fatuité masculine, ni esclavage dissolvant la personnalité de la femme dans l’amour »), et « excluant la prétention déposséder sans partage le cœur et l’âme du partenaire » (dénonciation du « sentiment de propriété créé et entretenu par la culture bourgeoise »). La sexualité en particulier doit pour Kollontaï être décorsetée. Faire l’amour devrait, pour elle, être aussi simple que boire un verre d’eau. Mais il n’est pas, ou pas simplement, question de faire l’amour à plusieurs. Il s’agit plus fondamentalement de partager sa vie avec plusieurs êtres selon des modalités changeantes, respectueuses et consenties, non pas seulement successivement mais synchroniquement.

          Aux États-Unis, l’anarchiste Emma Goldman condamne également le mariage et défend l’amour sans entrave dans Du Mariage et de l’amour (publié à titre posthume aux Éditions Syros, 1980). En France, l’amour libre est défendu en particulier dans les milieux anarchistes-individualistes. E. Armand, lecteur de Kollontaï, promeut ainsi l’« amour plural ». L’amour est à ses yeux « un libre contrat d’association (résiliable selon préavis ou non, après entente préalable) ».

          Dans L’Amour libre (Éditions de l’anarchie & Imprimerie des causes populaires, 1908), Madeleine Vemet souligne, elle, la volatilité des amours, incompatible avec le cadre rigide et contraignant de l’union maritale et du couple qui se calque sur elle : « Nul de nous ne peut répondre de la stabilité de l’amour. Plus que tous les autres sentiments de l’être humain,il est changeant et fugace parce qu’il n’est pas seulement une affection du cœur, mais encore un désir des sens et un besoin physique. Qu’on ne confonde pas l’amour avec le mariage. [...] Le mariage, c’est une prison ; l’amour, c’est un épanouissement. Le mariage, c’est la prostitution de l’amour. Pour qu’il conserve sa beauté et sa dignité, l’amour doit être libre ; et il ne peut être libre que s’il est régi par une seule loi. »

          Mais l'amour libre également ses détracteurs y compris chez les féministes. Madeleine Pelletier lui oppose le célibat militant. À ses yeux, l’amour libre, « loin d’aider à l’affranchissement de la femme, est le plus souvent pour elle une source nouvelle de servitude et de souffrance ». « Il la livre aux caprices de l’homme, aux dangers de l’avortement, de l’abandon et de la misère. » N’en déplaise à ses critiques, la libération de l’amour essaime. Les exemples ne manquent pas : l’écrivaine Virginia Woolf, l’anarchiste Sophie Zaïkowska qui vivra un temps avec deux hommes, Sartre et Beauvoir, qui, espérant « réinventer le couple », se resteront fidèles tout en allant voir ailleurs.

          Lentement, les désignations changent. Le polyamour prend, dans la seconde moitié du XXe siècle, le relais. Le terme, inventé dans les années 1960 en référence au roman En terre étrangère (G. P. Putnam’s Sons, 1961) de Robert A. Heinlcin, est popularisé à la fin des années 2000 par plusieurs ouvrages comme La Salope éthique (Greenery Press, 1997) de Dossie Easton ou Aimer plusieurs hommes (Éditions de la Martinière, 2002) de Françoise Simpère (qui préfère le terme de « lutinage »). Le polyamour se distingue de l’adultère (qui n’est pas consenti par les deux partenaires) et de l’échangisme, essentiellement sexuel. Simpère le qualifie de « libertaire, anarchiste et révolutionnaire ». Il aide les gens, selon la psychologue Meg-John Barker, « à explorer différentes facettes d’eux-mêmes, et, peut-être, à une compréhension alternative de leur propre identité ». Et même, selon le sociologue Daniel Welzer-Lang, à « dépasser la jalousie, donc quelque part l’appropriation exclusive de l’autre » (Les Nouvelles Hétérosexualités, éditions Érès, 2018). À la jalousie se substituerait la compersion, la joie éprouvée face au bonheur, à l’épanouissement d’autrui. Les résultats se font attendre...

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